Plus
mes compositions sont immédiates, saisies sans tergiverser, sans le piège
du doute ou de l'élaboration intellectuelle, plus elles sont cohérentes,
précises, pleines de révélations et de bonheur. Quelque
chose d'entièrement autre entre en jeu, issu d'une source plus profonde. Il
y a lutte, bien sûr, entre le geste porté par l'intention vivante
qui veut venir, bien en amont des mots et des questions, et le geste dé-porté,
entravé par le jugement, la rétention, la volonté, la peur,
ou même le regard bien-pensant du "pro" qui est toujours bien
trop pensant. Apprentissage.
Créer, détruire, transformer, laisser vivre du premier coup
ne
pas rester en deçà, ne pas triturer outre
Apprentissage.
Me laisser emmener sur l'autre rive ou rester scotchée. Me
retrouver plus tard avec ce qui s'est produit. Comment j'ai fait me reste à
moi-même essentiellement inconnu, impossible à retracer, il n'y a
pas de mémoire du "comment" du tout. Si c'était à
refaire, je ne saurais toujours pas faire. Je n'ai rien saisi, tout a filé.
Et pourtant, il y a. Etre
menée à bon port. Stupeur, bénédiction. Eveil
du sentiment de "je suis la source". Ne pas avoir peur d'effacer mes
propres traces, je peux recommencer encore et encore, mais jamais deux fois pareil,
à partir de la source sûre qui renouvelle. Ne pas m'attacher à
ce qui est produit mais m'affermir dans la relation à la source. Etre canal.
Qu'elle coule, peu importe ce qui en découle. Travailler
sur les ruines, glaner, sauver des miettes, des éclats. Décristalliser
l'échec pour trouver l'ébauche. Déconstruire, arracher, déchirer,
recoller, jusqu'à l'avènement nouveau. Jeu
sans fin, surprise constante. Peindre
pour voir le dehors vu de dedans et le dedans vu de dehors. M'imprégner
et me nourrir avant et après le travail, en solitude, en promenade. Ecouter
les infusions secrètes, les sensations internes, les échos multipliés.
Accoucher
enfin. Que ce soit l'élan lui-même qui agisse pour venir se raconter
au monde. Tenter de lui donner un corps de formes, de couleurs, de lignes et de
masses, de matières et de textures, de lumières et d'ombres qui
transfuse au moins un peu de la force comblante d'où il émane. Donner
à voir, donner "à toutes faims utiles". Ne
rien chercher à atteindre en particulier, chemin faisant. Ni le beau, enfermé
alors dans l'étroitesse de quelque critère, ni la réussite,
qui déclenche angoisse et restriction, ni même le plaisir. Mais
rester à l'écoute, du propos, de notre interaction, recevoir et
donner avec ardeur, à cet instant, à ce travail. Ouvrir
les mondes. Entrer dans mon "état second". Se
proposer quelque chose reste dans l'ouvert et peut se laisser rejoindre ; chercher
à l'atteindre fait que je couvre la distance avec ma propre épaisseur.
Chercher à atteindre ne connaît pas le plus grand bonheur. Il a le
sien bien sûr. Peindre
pour apprendre à faire fleurir les situations, les laisser s'épanouir
jusqu'à leur vraie "surnature". Témoigner peut-être
de rencontres furtives
Comment
me contenter d'un regard qui abîme tout ce qu'il touche la plupart du temps
? Peindre
pour apprendre à ouvrir mon regard un peu plus chaque fois, pour crever
ma propre couche de marasme et d'indifférence. Dans ces trouées-là,
il y a tellement plus de vie
Cela surgit-il quand je n'y suis plus ? Et
comment ne plus y être si je ne m'y mets pas toute entière ? Jouer
très fort comme un enfant et être au rendez-vous. Ce "quelque
chose d'autre", toujours inconnu et infiniment plus fort que je ne le suis
moi-même se révèle dans un enthousiasme abandonné ou
dans un abandon enthousiasmé, sinon pas. |